Le Journal de la sortie du Livre Noir de la Psychanalyse

 

Septembre 2005

Mercredi 30 août — Dans l’œil du cyclone.


Jour J-1. 10.000 ex de 830 pages sont arrivés chez les libraires.
Douze mois de gestation s’achèvent avec leur lot de mails innombrables, de débats, d’inquiétudes, de choix, d’enthousiasmes, de jubilation, de scrupules, de vérifications tatillonnes.
Pour les Arènes, c’est le 365ème jour de la vie du Livre Noir de la Psychanalyse, mais le 1er jour de sa vie en libraire. Les lecteurs vont le découvrir, en prendre possession ou le rejeter. Son destin leur appartient.
Ce matin, premier mail, peu amère, d’un psychiatre. Première réponse, en économisant notre clavier d’ordinateur, en prévision des jours à venir.
L’un des auteurs principaux du Livre Noir de la Psychanalyse, Mikkel Borch-Jacobsen est passé aux Arènes prendre un exemplaire du livre. Toute l’équipe se réunit autour de lui pour déjeuner avec, dans la chaleur de l’été. C’est gai et chaleureux. Nous sommes dans l’œil du cyclone. Demain, le Nouvel Observateur consacre sa Une et neuf pages au Livre Noir de la Psychanalyse. A partir de là, nul ne sait ce qui va advenir… Cela va être une sortie de longue haleine, pleine de rebondissements, de rencontres et de trous d’air. Mais c’est pour des émotions comme celles-là que l’on est éditeurs.

Jeudi 1er septembre. Jour J.

Le dossier de "L’Observateur" a été mûri tout l’été. Depuis des mois, Laurence Corona, qui s’occupe de la presse aux Arènes suit la gestation du "Livre Noir". Elle a lu, critiqué, suggéré et rencontré longuement les auteurs. C’est un lancement à haut risque et il ne faut rien laisser au hasard. De nombreux journalistes de l’hebdomadaire –et pas des moindres- se sont mobilisés. Leurs questions, leurs étonnements nous ont rappelé les nôtres, il y a un an, en rencontrant les auteurs de ce livre. Dieu sait si aux Arènes nous sommes souvent réservés et hostiles au système médiatique, ses raccourcis, sa connivence et son absence de pertinence (cf L’Almanach critique des médias à paraître)… Pourtant là, Ursula Gauthier, Laurent Joffrin et la rédaction en chef du Nouvel Observateur nous impressionnent. Ils lisent, contredisent, rencontrent les auteurs, se passionnent, vérifient. Pour la génération de mai 68, la psychanalyse a été un levier pour faire changer l’école, la justice, la famille, la société. Découvrir l’ampleur de son reflux à l’étranger, la vigueur des critiques historiques, théoriques et thérapeutiques a été un choc pour nous. Visiblement aussi pour eux. Le dossier est d’excellente tenue. La discussion s’engage sur des bases élevées.

Vendredi 2 septembre. Démarrage du livre.

Les libraires ont joué le jeu du livre, même si tous n’étaient pas favorables. Les premiers pointages des ventes sont excellents : spontanément, le livre a démarré, ce qui est toujours bon signe. 13 ex à la Fnac Montmartre, 3 chez Julliard Paris, 8 à L’Écume des pages à Paris, 4 à La Machine à Lire à Bordeaux, 5 chez Ombres blanches à Toulouse, 24 à la Fnac Étoile, 5 à la Fnac Lyon, 7 au Virgin Champs-Elysées, etc.

Lundi 5 septembre. Contre-attaque au vitriol.

L’Express consacre huit pages en réponse aux neuf pages de "L’Observateur". Mais là où "L’Obs" avait monté un débat, c’est un monologue extrêmement violent d’Elisabeth Roudinesco. Le vitriol ne nous surprend pas. Sollicité par "L’Obs" pour un débat, celle-ci avait refusé, mais calomnié les auteurs, qu’elle accusait… d’antisémitisme. Le débat partait dans la boue. Pendant tout l’été, E. Roudinesco a fait circuler un fichier de note de lecture d’un livre qu’elle n’avait pas lu, bourré d’accusations et d’erreurs énormes (expliquant par exemple que Marylin Monroe était citée comme victime de la psychanalyste et qu’un des auteurs était mort !).

L’axe choisi pour s’attaquer au Livre Noir de la Psychanalyse est le discrédit a priori. Il faudrait répondre au fond. Mais L’Express n’acceptera pas d’accorder une place importante à un texte argumenté. Il reste la solution du droit de réponse sur les points factuels. Nous nous accordons sur cette solution.

Mardi 6 septembre. Droit de réponse.


Après quelques va-et-vient qui atténuent le ton de la riposte, pour rester mesurés, le droit de réponse est envoyé (voir ci-joint sur le site). Jacques Van Rillaer a contesté point par point toutes les assertions dans un mail matinal. Les auteurs appellent pour se réjouir ou s’indigner. Jean Cottraux s’amuse. Les Arènes s’agitent. Bref, le parfum de la poudre. Sur les sites web lacaniens, les injures pleuvent. Certains confondent Catherine Meyer avec l’auteur du best-seller 2004, Bonjour paresse… pourtant psychanalyste lacanienne. Moment de détente à la lecture des messages des psys lacaniens, dont on hésite toujours à penser qu’ils ont été écrits au premier degré, tellement le métalangage l’emporte sur le sens commun. Déjà au Nouvel Observateur, les mails et les lettres de lecteurs affluent. Les freudiens contre-attaquent. Laurent Joffrin s’enquiert : « Et vous, vous en recevez des lettres d’encouragement ? » D’évidence, elles ne doivent pas pleuvoir place de la Bourse…

Mercredi 7 septembre. Genèse du livre.

Une des accusations fallacieuses qui semblent avoir eu un certain écho concerne le fait d’avoir enrôlé des auteurs « à l’insu de leur plein gré ». Des journalistes ont eu Elisabeth Roudinesco, qui jette quelques noms en pâture. Une rapide vérification montre qu’il n’en est rien. De toutes les manières tous les auteurs de texte originaux ont signé un contrat pour Le livre Noir de la Psychanalyse, dont le titre n’a pas changé depuis l’origine. Ceux qui ont été traduits ont donné leur autorisation dans les mêmes conditions.
Eric Favereau de Libération vient longuement interroger Catherine Meyer sur la genèse du livre. Il jette un œil amusé et dubitatif sur ces guerres de psys qui selon lui sont plus réels dans les médias que sur le terrain. Il est question du mensonge : après tout ceux de Freud ont-ils tant de conséquences ?

Jeudi 8 septembre. Le Monde à l’assaut.

Bing bang paf ! Le Monde sort la grosse artillerie. Catherine Meyer encaisse le choc. Quinze ans d’édition (Flammarion, le Robert, Odile Jacob) lui avait donné l’habitude de sorties plus consensuelles. Aux Arènes, le cuir est un peu plus épais. Depuis trois ans, tour à tour Révélation$, Les petits soldats du journalisme, BlackList, L’inavouable ont eu droit au même traitement du Monde : une page complète du journal pour expliquer à quel point ces livres étaient nocifs. Cet été, l’auteur de l’article Jean Birnbaum, un proche d’Edwy Plenel, notre « ennemi préféré », avait appelé plusieurs fois, avec moult assauts d’amabilités, pour obtenir les épreuves. La réputation parfois est bonne conseillère…
Le ton est moins politique que celui d’Elisabeth Roudinesco, mais vise le même but : discréditer. Toujours aucune preuve à l’appui des accusations de malhonnêteté. La partie historique est évacuée d’un mot. Le contexte de crise mondiale de la psychanalyse n’apparaît à aucun moment. Les patients sont ridiculisés.
Il y a six mois, nous avions pensé un temps, à changer notre titre, pour l’adoucir. Il y avait les pour, afin de mettre en avant la dimension de référence des textes et le prestige de leurs auteurs. Et puis ceux qui n’avaient aucune illusion sur le traitement qui serait réservé à leurs arguments. Et qui préféraient taper du poing sur la table, pour être entendu. Force est de reconnaître que l’échange d’argument et la contradiction n’est pas le fort des analystes. Chaque journaliste qui veut monter un débat entre un des auteurs du livre et un psychanalyste se heurte à une cascade de refus.
Il ne faut pas céder un pouce de terrain. En sortant ce livre, nous offrons à chaque lecteur la possibilité de s’informer sur les arguments historiques, philosophiques et thérapeutiques qui contestent la validité de la psychanalyse. Les « freud wars » ont eu lieu à l’étranger. Elles sont inéluctables en France, mais quand ?
Par une coïncidence de date mais non de logique, Noticas, un grand hebdo argentin a sorti un grand dossier il y a quelques semaines sur le thème « La psychanalyse est-elle finie ? », provoquant une vague de débats intense. Le premier quotidien du pays Nacion vient interroger Mikkel Borsh Jacobsen pour une double page. Le deuxième eldoraro des freudiens prend l’eau, lui aussi…

Vendredi 9 septembre. Droit de réponse au droit de réponse !

Ce qui est bien avec Elisabeth Roudinesco, c’est qu’elle ne déçoit jamais. Elle n’hésite pas à répondre au droit de réponse par de nouvelles énormités, que Mikkel Borch-Jacobsen a bien du mal à avaler sans s’étrangler ce matin. Il va donc… répondre à la réponse. Nous ressortons nos mails, faxs et contrats avec Patrick Mahony et Philippe Pignarre, prétendument manipulés. Ils ont tous signé leurs contrats et donné leur accord en bonne et due forme pour participer à un Livre Noir de la psychanalyse. Philippe nous envoyait encore un mail amical hier. Mais pour Elisabeth Roudinesco, toute personne qui lui parle est d’accord avec elle ! (cf sur le site la réponse formelle).
La semaine dernière fut consacrée au lancement du pavé dans la mare. Cette semaine nous recevons en retour la réplique (et elle va encore s’amplifier). 10 à 20.000 psychiatres analystes, psychanalystes, psychologues freudiens et autres se sentent attaqués. Ce sont tous des intellectuels, avec le goût de l’écriture. Aujourd’hui une tribune libre de Jack Ralite (PCF) et Jean-Pierre Sueur (PS) dénonce une « chasse aux sorcières » : « c’est le cœur de notre culture qui est attaqué » ! Après la réponse sera dans les mains du public, des patients, des curieux, des esprits libres...
Soit notre pays est mûr pour sa première «guerre freudienne» et le bouche-à-oreille va porter ce livre. Soit le bastion est encore trop puissant et la vague va retomber. Le métier de l’éditeur est de publier ce qu’il croit juste. Le métier du lecteur est de lire ce qui lui plaît. Et c’est bien ainsi.

Samedi 10 septembre. Étude de textes.
Deux exemples de manipulation de textes, dans l’article de Jean Birnbaum du Monde,
qui éclaire sur l’honnêteté intellectuelle de sa critique.


1) L’article du Monde :
« Par contre, dans ces deux niches résiduelles [la France et l’Argentine], ils [les psychanalystes] auraient réussi à accumuler prestige et argent afin d’imposer à l’ensemble de la société, au moyen “d’un terrorisme intellectuel [qui] n’a rien à envier à celui des ayatollahs ! »
La citation de Patrick Légeron remise dans son contexte :
« On se souvient, qu’avec une certaine délectation, la presse française s’était fait l’écho de l’interdiction d’enseignement des théories darwiniennes de l’évolution des espèces dans quelques rares écoles américaines contrôlées par des fanatiques religieux, - au seul motif qu’elles contredisaient la vision biblique de la création de l’homme). Or rien n’a été dit de ce que, dans la très grande majorité des départements de psychologie de nos facultés de sciences humaines, les TCC n’ont pas droit de cité (encore une incroyable exception française), et ce, par le diktat de quelques enseignants dont le terrorisme intellectuel n’a rien à envier à celui des ayatollahs! »


2) L’article du Monde :
« C’est qu’ici, au coeur du projet, il y a la détestation. Ainsi Jacques Van Rillaer, l’un des principaux maîtres d’oeuvre du Livre Noir de la psychanalyse, qui retrace ici son itinéraire d’analyste belge “déconverti” n’est pas loin d’ériger l’exécration en principe méthodologique : "certaines haines sont légitimes, en particulier lorsqu'elles sont provoquées par le spectacle récurrent de la mauvaise foi, de l'arrogance et de la manipulation de gens qui souffrent. Des idées énoncées par quelqu'un qui éprouve de la haine ne sont pas, de par la présence de ce sentiment, sans valeur épistémologique.”
La citation de Jacques Van Rillaer dans son contexte :
“Des freudiens croient annihiler des objections en les attribuant à la haine [1]. Cet argument, tel qu'ils le formulent, présuppose que la haine est une « chose » à l'intérieur de soi, qui précède les raisons avancées qui, elles, n'en seraient que des expressions arbitraires. En fait, il y a des critiques sans haine. Énoncer des critiques ne signifie pas automatiquement éprouver de la haine. D'autre part, certaines haines sont légitimes, en particulier lorsqu'elles sont provoquées par le spectacle récurrent de la mauvaise foi, de l'arrogance et de la manipulation de gens qui souffrent. Des idées énoncées par quelqu'un qui éprouve de la haine ne sont pas, de par la présence de ce sentiment, sans valeur épistémologique. Réciproquement, les énoncés d'un dévot ne sont pas ipso facto clairvoyants, sinon tous les religieux intégristes parleraient en vérité. Répétons que la valeur d'une objection est une question de logique et de vérification méthodique. Il ne suffit pas de renvoyer à des particularités psychologiques de celui qui l'énonce pour la réfuter ou la valider.
[1] L'argument a été utilisé notamment contre Sokal et Bricmont. L'éminent philosophe Jacques Bouveresse a consacré tout un chapitre à en montrer l'absurdité, dans Prodiges et vertiges de l'analogie, Paris, Raisons d'agir, 1999, p. 109-124.

Lundi 12 septembre : Brèves.

Amusant coup de fil de la responsable psy de la librairie « La Procure » : « Il faut me dépanner, je vous commande en urgence un livre que je déteste !». Le livre provoque chez les analystes un joli mouvement de fascination-répulsion comme le note une étudiante freudienne : ainsi, la librairie des nouveautés de Lyon (spécialisée en psychanalyse) en a déjà vendu 20 ex.
Excellents échos de lectures sur les sites de la Fnac et d’Amazon. Les 10/10 pleuvent. Deux 1/10, logiques. L’un d’eux se contente de reproduire des passages de la diatribe d’Elisabeth Roudinesco. Comme les sénateurs Jack Ralite et Jean-Pierre Sueur dans leur Tribune libre, il préfère recopier sa prose apocalyptique plutôt que lire 800 pages. Après tout, cela évite de penser.
Les patients se révoltent après l’article du Monde des livres qui les ridiculisaient. Les présidentes d’Autisme France et de Médiagora rédigent une «Lettre ouverte au Monde ».
L’Humanité publie une tribune d’un psychanalyste qui dénonce les mages noirs que nous serions. Chasse aux sorcières pour Jack Ralite et Jean-Pierre Sueur, Mages noirs dans l’Humanité. Qui, demain, osera le rapprochement avec l’Inquisition ?
Une étudiante en psycho appelle : elle a lu en deux nuits passionnées "Le Livre Noir" et en parle avec une émotion qui fait plaisir.
Un lecteur s’indigne de l’appellation de «Livre Noir», et des connotations criminelles qu’il véhiculerait. Outre le fait qu’il existe des centaines de livres noirs (le premier étant d’ailleurs contemporain de Freud, depuis le Livre Noir du football au Livre Noir des réformes universitaires ou au Livre Noir de la publicité), le traitement graphique de la couverture du Livre Noir de la psychanalyse, avec son graffiti de couleurs, montre bien le décalage que nous avons souhaité. Dans le charivari actuel des psychanalystes et de leurs protestations outrées, le plus dur à vivre, pour eux, ne serait-il pas d’être passé dans le camp des notables, des défenseurs de l’ordre, et des censeurs ?

Ce matin, 356 commandes de libraires. Le Livre Noir de la psychanalyse suit une trajectoire de document, malgré ses 832 pages, ses 1352 notes et son prix à 29,80 €.


Mardi 13 septembre. Le symptôme de Daniel Sibony et quelques noms d’oiseaux.

Bad publicity is still publicity. Le slogan des Rolling Stones est en passe de devenir celui du Livre Noir de la Psychanalyse. Plus les psychanalystes contre-attaquent et accablent le livre de tous les maux de la création, et plus les lecteurs se précipitent… En gardant le sens des proportions, le phénomène évoque l’effet de la propagande en faveur du « Oui » au référendum, qui provoqua en boomerang une montée du «Non». Il suffisait de passer à la FNAC Saint-Lazare lundi vers 18h00 : attablés au café littéraire, quatre lecteurs sur dix étaient plongés dans Le "Livre Noir". La pleine page dans Libération signée par Daniel Sibony (voir sur le site des arènes) est à faire lire à tous ceux que la douleur mentale empêche de vivre, de sortir ou de se construire, à ces pauvres humains qui au lieu d’endurer aimeraient simplement moins souffrir. C’est l’esprit de Lacan qui s’épanouit dans sa splendeur nihiliste. Du panache, mais bien peu d’empathie et de respect à l’égard des patients : « mon symptôme que j’ai élevé, bichonné, dont j’ai joui, que j’ai même épousé, avec lequel j’ai vécu, vous voudriez que je le laisse ? ». Et bien oui.


Dans Elle, le seul journal avec Le Nouvel Observateur à avoir donné la parole à un des auteurs hérétiques du "Livre Noir", c’est la psychanalyste Claude Halmos qui monte au front (voir sur le site des arènes), évoquant, sans rire, «un style que ne désavouerait pas la pire des presses à scandales, l’injure, la calomnie ». A ce niveau de polémique, il n’y a plus rien à dire. Il suffit d’ouvrir ce pavé de 800 pages, parfois ardues, avec plus de 1.300 notes d’une rigueur absolue et trente-quatre auteurs, dont la plupart sont des universitaires avec une œuvre considérable derrière eux pour se rendre compte du délire dans lequel les freudiens sont plongés.


La comparaison avec les Etats-Unis est éclairante –et redoutable pour notre pays. Lorsque Frederick Crews avait publié dans la New-York revue of books son dossier sur Freud inconnu, la controverse avait été mémorable. Mais la qualité des réponses (et des contre-réponses de Crews) était d’un tel niveau qu’un recueil a été publié. Naïvement, nous envisagions de faire de même… Mais que dire lorsque des auteurs aussi célèbres que Aaron Beck et Albert Ellis (parmi les quatre auteurs les plus cités au monde dans les revues scientifiques avec Freud !), lorsque des professeurs à Berkeley, Londres, Tilburg, Washington, Harvard, Montréal, Toronto sont abaissés au niveau de la «pire des presses à scandale » ?
Depuis la publication du livre, la réaction des psychanalystes et de leurs affidés est la même : le refus du débat et l’anathème. Elisabeth Roudinesco a refusé de débattre avec Jacques Van Rillaer pour "L’Observateur" préférant un long monologue dans L’Express, Jean Birnbaum, après avoir consacré une page d’une extrême violence dans le Monde a annulé sa participation à un débat avec les auteurs sur France Culture, et Claude Halmos après avoir décliné une proposition de débat avec Didier Pleux dans Elle, a préféré raconter n’importe quoi, toute seule, sur deux colonnes.
Le tout doublé de coups bas (accusations d’anti-sémitisme propagée sous le manteau contre les auteurs ou Ursula Gauthier du Nouvel Observateur, comparaison avec L’Effroyable imposture).

Mercredi 14 septembre. Rush des lecteurs.


Le Livre Noir de la Psychanalyse est cette semaine la 8ème vente d’essais et documents en France. Les commandes des libraires affluent : 850 ex. ce matin, 2.500 ex. de la Fnac pour vendredi. Une réimpression à 8.000 ex est lancée. 23.000 ex de tirage en quinze jours. C’est un vrai succès. Et la réponse des lecteurs au pouvoir psychanalytique, qui à longueur d’année, tranche sur tout et le contraire de tout, avec pour seul viatique quelques années de divan.
Agnès Fonbonne, la mère d’un enfant autiste qui a témoigné dans le Livre Noir de la Psychanalyse, envoie une réponse au courrier des lecteurs de Libération, avec ce mélange ravageur d’humour et d’émotion, qui la caractérise. Lire ce texte au bord du rire et des larmes ou le forum de Mikkel Borch-Jacobsen sur nouvelobs.com (ou sur le site arènes) et se dire que décidément éditeur est un beau métier...

Jeudi 15 septembre. La bataille du silence est gagnée.


Le Figaro littéraire consacre deux pages dont la Une au Livre Noir avec moins de violence et de mauvaise foi que Le Monde, mais toujours avec les mêmes énormités (voir le « jeu des erreurs » auquel s’est livré Jacques Van Rillaer sur le site) et la même incapacité à regarder au-delà de Saint Germain des Prés et de son horizon bouché par le freudisme.
Le Nouvel Observateur offre sur trois pages des extraits du courrier, avec un éditorial de Laurent Joffrin qui dévoile (une partie) des manœuvres diffamatoires d’Elisabeth Roudinesco pour contrer ce livre, disqualifier ses auteurs et bloquer sa médiatisation. Jolie dénonciation du « terrorisme intellectuel » de certains psychanalystes bien peu sûrs du bien-fondé de leur pratique !


Mais le plus savoureux est à déguster sur le site nouvelobs.com avec l’intégrale de la correspondance reçue par Ursula Gauthier, la journaliste responsable du dossier, qui publie également ses réponses. Tout amateur de débat intellectuel se doit de lire l’échange entre Frédérik Crews et François Sauvagnat :
http://permanent.nouvelobs.com/culture/20050916.OBS9405.html./

[allez dans Culture=> Débat=> Correspondance suscitée par le dossier].


C’est éclatant (et navrant pour les freudiens). A la fin de l’envoi, je touche ! Oui, mais cette fois Cyrano est américain…
La tribune de Philippe Pignarre dans Le Monde déplace le débat sur les pages sombres de la psychanalyse (homosexualité, toxicomanie, autisme). Il ne s’agit pas que de mots, mais de souffrance. En face, c’est le silence.
Sur France Culture, une heure de débat. C’est le premier face à face depuis la volée de bois vert médiatique qui a suivi la publication ? D’un côté Jean Cottraux, Didier Pleux et Mikkel Borch-Jacobsen, de l’autre un romancier passé sur le divan, et deux psychanalystes, Jacques Sedat et Danielle Brun. Les auditeurs trancheront. Nous dirons simplement que l’opposition n’a pas été très consistante. Un exemple entre dix, la bouche en cœur, Danielle Brun s’indigne qu’un des auteurs cite des lettres de Freud à Fliess tirées de la correspondance complète, uniquement disponible en anglais.
Il faut savoir que l’édition française, constamment rééditées par les PUF ne sont qu’un choix : sur 284 lettres retrouvées, Marie Bonaparte et Anna Freud n’en ont livrés au public que 168. En 1985, Jeffrey Moussaief Masson a publié, d'abord en anglais chez Harvard university press (1985), puis en allemand (1986), le texte complet de ces lettres, soit 287 missive. Cette nouvelle édition fit apparaître que, « sur les 168 lettres retenues, l'édition de 1950 en amputait 20 de plus de la moitié, effectuait de sérieuses coupures dans 96 d'entre elles et supprimait une ou deux phrases dans 17. »
Rien ne justifie que le public francophone soit privé de ce document exceptionnel et ravageur pour la légende freudienne, sinon la bastion analytique français. Le raisonnement est circulaire : Danielle Brun reproche aux auteurs du "Livre Noir" de se référer à une édition dont les freudiens maintiennent le blocus en France, alors que justement "Le Livre Noir" est né de cette occultation ! Ce soir, nous avons au moins une certitude : la bataille du silence est gagnée.

Samedi 17 septembre. Libération ouvre la porte aux anti-freudiens.
L’échec du petit groupe d’intellectuels de combat qui maintient la flamme du freudisme depuis quelques années en France afin de contenir les débats qui ont fait florès à l’étranger est désormais patent.
Les trois pages de Libération présentent une version moderne de la bataille d’Hernani ou comment les insurgés d’hier sont rattrapés par le temps (et le mouvement du monde). En dehors de l’anathème rituel –pas de liberté pour les ennemis de la psychanalyse-, c’est le vide abyssal. Les mêmes accusations sont encore lancées contre Le livre noir, comme on jette du pain aux moineaux, mais sans le début du commencement d’une preuve qui accréditerait la diffamation éventuelle. Rappelons une évidence : écrire que Freud a menti est une affirmation et non une diffamation si la preuve en est rapportée (ce qui est maintes fois le cas).
Mais désormais, la psychologie autre que freudienne a enfin droit de cité en France. Le combat, violent en coulisses, surgit à l’air libre. Les vraies questions sont devant nous : Freud a-t-il dit la vérité ? Quid de la méthodologie psychanalytique ? De l’évaluation de ses résultats thérapeutiques ? Pourquoi la France est resté si longtemps à l’écart de cette remise en cause ? L’enseignement en faculté de psychologie et en psychiatrie rend-il compte de la pluralité des approches du psychisme et de l’évolution des traitements de la souffrance mentale ?
La parole des soignants -des « usagers de la psy » selon le jargon actuel- va se libérer. Elle est sera plus ravageuse encore que "Le Livre Noir".
Vu de Sirius, l’éditorial qui accompagne les interviews et les articles de Libération est un concentré de toutes les idées reçues d’un intellectuel français moyen sur la psychanalyse. Mais soyons magnanimes. Le train est lancé. Gageons que dans quelques années, le rouge montera aux joues d’Antoine de Gaudemar s’il se relit…
De l’étranger, le débat est vu avec attention et une certaine ironie sur l’ethnocentrisme français – Republicca, Expresso en Italie, Naçion en Argentine, Filosofie Magazine (l’équivalent de Psychologies) aux Pays-Bas… Et surtout du Sunday Herald, dimanche matin (voir revue de presse internationale sur le site) qui décrit la surprise des Américains découvrant l’émoi que la critique du freudisme, à l’œuvre depuis si longtemps outre-atlantique, est en train de provoquer chez nous.

Lundi 19 septembre. 1.357 exemplaires.
C’est le nombre des commandes des libraires ce matin. Plus de 23.000 ex. de tirage en moins de quinze jours et déjà trois réimpressions : la brèche est faite.

        L'illustration en haut de page est un tableau de Camille Fox qu'on peut voir sur le net : http://www.ajoe.org//Fox/suite.htm